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L’avant-projet de décret relatif à l’organisation du marché de l’énergie thermique et à l’organisation des réseaux d’énergie thermique vise à transposer les dispositions portant sur la distribution de chaleur, de froid et d’eau chaude sanitaire de la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique, en particulier en ce qui concerne :
- le relevé, la communication et la facturation de leurs consommations réelles aux consommateurs finals ;
- l’installation d’un compteur par bâtiment lorsque plusieurs bâtiments sont alimentés par un même réseau ou installation centrale ;
- la qualité (précision, clarté, etc.) des informations fournies aux consommateurs finals sur leurs consommations et données de facturation.
Vu l’absence actuelle de cadre décrétal en la matière, l’avant-projet de décret offre une base de travail utile et un point de départ bienvenu en vue de l’encadrement des modalités d’exploitation et de la mise en place de soutiens effectifs aux réseaux de chaleur. De l’aveu même de la note au Gouvernement qui accompagne l’avant-projet de décret, celui-ci se veut « minimaliste » et c’est bien le moins que l’on puisse dire, par rapport aux enjeux de la transition énergétique et au rôle que devrait jouer dans ce cadre la chaleur verte (renouvelable et fatale) distribuée à partir de réseaux de chaleur. EDORA se demande à cet égard s’il n’eut pas été préférable de viser d’emblée une base décrétale plus ambitieuse, pleinement en phase avec les nouvelles directives du paquet « Clean Energy for Europe » récemment adoptées au niveau européen.
Quoiqu’il en soit, EDORA souhaite formuler sur cet avant-projet les remarques et demandes de clarification suivantes :
- La définition de « réseau d’énergie thermique » devrait préciser de manière explicite qu’un tel réseau relie nécessairement plusieurs sites ou bâtiments, afin de distinguer beaucoup plus clairement les réseaux d’énergie thermique, qui font l’objet du décret, des chaufferies collectives, qui ne sont pas concernées.[1]
- De la même manière, alors que la note au Gouvernement qui accompagne l’avant-projet de décret précise que « s’il n’y a pas de vente, par exemple lorsqu’un producteur alimente plusieurs de ses bâtiments avec une même infrastructure, celle-ci n’est pas considérée comme un réseau d’énergie thermique », l’absence d’une telle précision dans la définition d’un « réseau d’énergie thermique » rend notamment l’article 4[2] opposable à un tel producteur, ce qui effectivement, ne saurait être l’objectif recherché.
- A l’inverse, la définition de « compteur » nous semble étonnamment limitative, en ce qu’elle associe étroitement cette notion à « consommation » et même à « consommateur ». En l’absence de définition des mots « consommateur » et « point de livraison », il en résulte une relative ambiguïté quant à la manière d’interpréter ce même article 4. Côté livraisons, de véritables compteurs ne devraient être obligatoires qu’à l’entrée de tous les bâtiments. En ce qui concerne leurs diverses unités de logement (en cas d’immeubles à appartements ou d’immeubles mixtes), EDORA plaide pour que le placement éventuel de compteurs individuels fasse l’objet d’une analyse coût/bénéfice comme le prévoit la directive.[3]
- Le même genre de question se pose en ce qui concerne le comptage aux points d’injection, dès lors que « compteur » est lié à « consommation » ; A quels « points » au juste l’article 12, 9 [4] fait-il référence ? EDORA estime que les comptages doivent être prévus aux endroits clés du réseau de chaleur, c’est-à-dire aussi bien aux points d’injection qu’aux points de livraison, afin d’également mesurer la production de chaque source de chaleur et de contrôler les performances thermiques du réseau tout au long de sa durée de vie. Enfin, un suivi des consommations éventuelles en énergie(s) primaire(s) de chaque source de chaleur est également nécessaire pour pouvoir, par exemple, évaluer l’efficacité du réseau au sens de la directive 2012/27/UE.[5]
- A l’article 10[6], il convient probablement d’insérer les mots « de réseau » entre les mots « opérateur » et « d’énergie thermique ».
- Dans le même article, il serait bon de prévoir la possibilité d’avoir plusieurs « fournisseurs », de la même manière qu’il peut y avoir « un ou plusieurs consommateurs ». EDORA estime que cette possibilité doit être clairement prévue, afin de permettre le développement de réseaux de chaleur d’une certaine envergure, éventuellement alimentés par plusieurs sources de chaleur renouvelables et/ou fatales.
- EDORA recommande de préciser que les producteurs, fournisseurs et opérateurs ne doivent pas nécessairement être distincts les uns des autres, afin de permettre une souplesse suffisante dans le développement de cette filière. En effet, la plupart des projets de réseaux de chaleur en Wallonie sont actuellement de taille modeste. Il serait malvenu d’exiger une séparation verticale systématique du secteur, sur le modèle qui existe pour l’électricité et le gaz.
- Le rôle des gestionnaires de réseau de distribution doit par contre être encadré, pour éviter tout abus de position dominante dans leur chef. Une manière de limiter les risques de concurrence déloyale de leur part sur le marché des réseaux de chaleur serait d’interdire toute espèce de subvention croisée entre ce marché et le ou les autre(s) réseau(x) gérés par un GRD donné. Le Gouvernement devrait également se donner les moyens d’exiger une stricte séparation verticale et un accès des tiers au réseau pour les réseaux de chaleur exploités par un GRD, comme en matière de gaz et d’électricité.
- Lorsqu’un opérateur de réseau doit, pour accéder au domaine public, obtenir une autorisation expresse du gestionnaire domanial concerné, nous craignons que ne se présentent occasionnellement des cas de conflit d’intérêt dans le chef de celui-ci. EDORA estime dès lors qu’une procédure de recours auprès du Ministre en charge de l’énergie devrait à tout le moins être offerte aux porteurs de projet.
- Il nous semble qu’il serait par ailleurs utile de prévoir la possibilité de servitudes d’utilité publique pour permettre le passage d’un réseau de chaleur sous un terrain privé, en s’inspirant par exemple du régime qui prévaut pour le placement de conduites de gaz par les gestionnaires de réseau.
- Aux articles 23 et 24, il serait préférable de distinguer plus clairement les fournisseurs (d’énergie thermique) des opérateurs et utilisateurs (de réseau d’énergie thermique).[7]
EDORA s’étonne par ailleurs de ne trouver dans l’avant-projet de décret aucune référence aux dispositions à prévoir en suite des évaluations du potentiel d’exploitation de la cogénération à haut rendement et des réseaux d’énergie thermique réalisées et/ou encore à réaliser dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 14 de la directive précitée. EDORA rappelle à ce sujet que les chantiers (nouveaux lotissements, opérations de rénovations, ouvertures de voirie) constituent des opportunités idéales pour mettre en œuvre des réseaux de chaleur à moindre coût. Une planification temporelle de ces opportunités apparaît indispensable, suffisamment à l’avance pour pouvoir mener en temps utile l’étude de faisabilité technico-économique.
Enfin, comme déjà signalé, EDORA regrette que l’avant-projet de décret ne tienne pas davantage compte de la directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, laquelle propose un objectif de croissance de 1,3% par an pour la chaleur renouvelable et de 1% par an pour la chaleur distribuée par des réseaux de chaleur. Pourquoi ne pas inscrire ces objectifs dès à présent dans le cadre décrétal ?
Incidemment, EDORA regrette que la réglementation PEB wallonne ait tendance à discriminer négativement les réseaux de chaleur, en attribuant, par défaut, un mauvais certificat aux bâtiments qui s’y raccordent. Pour mettre fin à la pénalisation habituelle des réseaux de chaleur dans les calculs de PEB, il conviendrait par exemple de leur attribuer un facteur de conversion de l’ordre de 1,3 lorsqu’ils sont alimentés par des énergies fossiles et un facteur de conversion beaucoup plus favorable lorsque l’énergie qu’ils distribuent est d’origine renouvelable (à l’instar de la Flandre et de nombreux pays de l’UE dont les facteurs de conversion sont compris entre 0,28 et 0,7 dans ce dernier cas de figure). EDORA plaide pour qu’une concertation soit organisée au plus vite sur cette question, en s’inspirant des dernières modifications de la directive PEB.
[1] A titre de comparaison, la (nouvelle) directive (UE) 2018/2001 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables définit comme suit la notion de «réseau de chaleur» ou «réseau de froid»: la distribution d’énergie thermique sous forme de vapeur, d’eau chaude ou de fluides réfrigérants, à partir d’une installation centrale ou décentralisée de production et à travers un réseau vers plusieurs bâtiments ou sites, pour le chauffage ou le refroidissement de locaux ou pour le chauffage ou le refroidissement industriel.
[2] Article 4 de l’avant-projet d’arrêté : « Lorsque plusieurs bâtiments sont alimentés par un réseau d’énergie thermique, un compteur d’énergie thermique est installé à chaque point de livraison ou sur l’échangeur de chaleur ».
[3] « … des compteurs individuels de consommation sont également installés d’ici au 31 décembre 2016 pour mesurer la consommation de chaleur, de froid ou d’eau chaude de chaque unité, lorsque cela est techniquement possible et rentable. Lorsqu’il n’est pas rentable ou techniquement possible d’utiliser des compteurs individuels pour mesurer la consommation de chaleur, des répartiteurs des frais de chauffage individuels sont utilisés pour mesurer la consommation de chaleur à chaque radiateur, à moins que l’État membre en question ne démontre que l’installation de tels répartiteurs n’est pas rentable. Dans ces cas, d’autres méthodes rentables permettant de mesurer la consommation de chaleur peuvent être envisagées. »
[4] Article 12 : « L’opérateur de réseau d’énergie thermique effectue les tâches suivantes : (…)
9° le comptage des flux d’énergie thermique aux points des utilisateurs de même que la pose, l’entretien, l’activation et la désactivation des compteurs d’énergie thermique. »
[5] Un « réseau de chaleur et de froid efficace » est « un réseau de chaleur ou de froid utilisant au moins 50 % d’énergie renouvelable, 50 % de chaleur fatale, 75 % de chaleur issue de la cogénération ou 50 % d’une combinaison de ces types d’énergie ou de chaleur ».
[6] Article 10 : Lorsqu’un réseau d’énergie thermique est utilisé pour vendre de l’énergie thermique à un ou plusieurs consommateurs, un opérateur d’énergie thermique et un fournisseur d’énergie thermique sont requis.
[7] Article 23 : Les opérateurs, fournisseurs et utilisateurs de réseau d’énergie thermique dont la demande de permis d’environnement est introduite avant le 1er septembre 2020 ont jusqu’au 1 septembre 2022 pour se conformer au présent décret.
Article 24 : Le présent décret s’applique aux opérateurs, fournisseurs et utilisateurs de réseau d’énergie thermique dont la demande de permis d’environnement est introduite à partir du 1er septembre 2020.